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ثقافة L’exclusion: Extrait de « Poème de la folie» du pionnier de la psychiatrie maghrébine Sleim Ammar

نشر في  31 ماي 2018  (11:45)

En 1993, le psychiatre Sleim Ammar (1927-1999) publie « Poème de la folie», un recueil poétique dans lequel « il tente de décrire de façon vivante et imagée la cohorte des déprimés et des excités, des paranoïaques et des délirants,  des schizophrènes et des épileptiques, des obsédés et des hystériques, des angoissés et des phobiques, des hypocondriaques et des alcooliques, des toxicomanes et des pervers », tel qu’il le mentionne dans sa note d’auteur.

Le pionnier de la psychiatrie maghrébine dit aussi de son ouvrage ce qui suit : « Sans être un éloge ni une apologie, ce poème se veut une défense et illustration du caractère mouvant et complexe de la maladie mentale et de la réalité multifactorielle qui la sous-tend, chez tous ceux qui paraissent en être ou qui en sont atteints, hommes et femmes, humbles ou grands, enfants ou vieillards de tous pays et de toutes conditions ».

Nous avons choisi pour nos lecteurs cet extrait poétique qui traite de l’exclusion (pages 21-22-23-24-25-26).

L’exclusion

L’homme est un animal resté encore sauvage

Malgré les apparences, cela est bien dommage.

 

Il a beau progresser, atterrir sur la lune ;

Sur terre, dans les faits grandit son infortune,

 

De par son ignorance, son peu d’humanité

Envers tout « étranger » qu’il aime rejeter,

 

Car ce sont les autres qui sont des anormaux,

Encore qu’il ignore l’étendue de leurs maux.

 

De là cet ostracisme qui demeure ordinaire

Et aggrave d’autant leur terrible calvaire,

 

Tout en les poursuivants d’une triste étiquette

Gratuite, infamante et finalement bête.

 

Or que de gens au fond demeurent incompris

Du fait de l’égoïsme et du rejet d’autrui !!

 

A plus forte raison, si ces gens nous dérangent,

S’ils nous gênent vraiment, s’ils ne sont pas des anges.

 

L’intolérance alors surgit et se déploye

Et on a vite fait d’en appeler aux lois.

 

Or on n’a jamais vu l’ange en réalité

Sauf dans les légendes où il semble exister

 

Ou dans les régions où le manichéisme

Entre le bien, le mal, crée ce séparatisme

 

Entre le paradis, l’ange ou bien l’enfer,

Le diable, le démon qui en sont le travers.

 

Or la réalité n’est pas manichéisme

Et ces définitions sont parfaites euphémismes.

 

Comme nous l’avons dit, de notables nuances

Existent à l’infini entre ces différences.

 

Mais parfois il est vrai, il en est bien certains

Qui vous font quelquefois perdre votre latin,

 

De par tous les problèmes qu’ils posent en effet,

Pour tout ce qu’ils feront ou tout ce qu’ils ont fait.

 

Certains, parmi ces gens, que l’on tiendrait coupables

S’avèrent à la fin bien irresponsables.

 

Ailleurs ces personnes représentent des cas

Posant des problèmes beaucoup plus délicats.

 

D’où la nécessité de les expertiser

Et, partant, le devoir de les analyser

 

Sous toutes les coutures, avec circonspection,

Sans vouloir se hâter de prendre position,

 

Surtout en cas de doute car l’enjeu est très grave,

L’asile ou la prison créant bien des entraves.

 

Or malgré un combat plus que séculaire

Et des progrès sérieux parfois spectaculaires,

 

Le fou reste souvent la personne à exclure,

A sortir de nos rangs, sans nulle forfaiture.

 

Ajoutez-y aussi ce que l’enfermement

En milieu asilaire provoque fréquemment

 

En matière de soins qui sont contradictoires,

Avec leur réclusion et de façon notoire,

 

Vu parfois l’ignorance et la coercition

Et toujours le rejet que crée cette exclusion.

 

Car on aura beau dire, il faut traiter les fous

Au sein de leur milieu ou sinon pas du tout.

 

Nous n’en sommes pas là/bien malheureusement,

Car encore aujourd’hui règne l’enfermement.

 

Mais sans doute demain sera-t-il supprimé

Et tous ces êtres humains ne seront plus brimés.

 

En attendant ce jour, il nous faudra lutter

Pour assister ces gens avec humanité.

 

Ces gens qui sont issus bien souvent de nos rangs,

Qui sont proches de nous par la race et le sang,

 

D’autant plus que chacun d’entre nous un beau jour

Peut comme eux et fort bien, succomber à son tour.

 

Tout cela est nié souvent inconsciemment

Pour mieux se protéger par trop naïvement,

 

Par ce vieux mécanisme de défense connu

Qu’est la dénégation que l’on doit mettre à nu :

 

Dénégation allant tourner même en bourrique

Le psychiatre lui-même pour l’exclure en pratique

 

Du champ d’opérations où l’on est impliqué

Pour qu’aussi de folie il soit même inculpé.

 

Or ce retournement courant et bien notoire

Le psychiatre en connait  les raisons dérisoires.

 

C’est la crainte, la peur, le désir de quiétude

Qui expliquent fort bien cette vieille habitude

 

Que nous avons toujours, pour pouvoir nous défendre

Contre le mystérieux, sans vouloir le comprendre.

 

De là, ce pont de vue que l’on veut défensif

Et les rejets fréquents qui sont aussi nocifs,

 

Et ce désir constant de se débarrasser

De gens très encombrants dont on s’est bien lassé,

 

Que l’on veut exclure de par l’intolérance

Qui reste enfouie en nous et avec insistance.

 

Il est rare en effet que l’on cherche à comprendre

Ces pauvres malheureux qu’on ne veut pas entendre.

 

Or l’intolérance et l’incompréhension

Et toutes ces outrances ont des implications,

 

Que nombre de doctrines d’ordre psychologique

Ont longtemps expliqué sur le plan théorique,

 

Montrant que ces pratiques ne pourraient qu’aggraver

Un mal dont le patient a déjà bien bavé.

 

En effet, l’être humain reste intolérant

Envers l’autre surtout quand il est délirant,

 

Même si les revers du sort en sont la cause,

Perçue très clairement beaucoup plus qu’autre chose.

 

Contre cette exclusion qui frappe ces gens-là,

On devrait à coup sûr mettre enfin le holà.

 

Car la folie surgit souvent en vérité

D’un désordre induit de par la société :

 

Société désaxée et qui désorganise

La personnalité qui devient incomprise ;

 

Qui reste fragile devant les coups du sort

Qu’elle supporte très mal à raison ou à tort.

 

La famille surtout parait bien responsable

Et pour bien des auteurs un tantinet coupable :

 

Famille je vous hais ! ont dit certains lettrés,

Au point qu’on ne cessa plus d’en flétrir les traits :

 

Des traits bien distordus qui dès la tendre enfance

Perturbent les enfants par certaines outrances,

 

Puis les adolescents et enfin les adultes

Qui n’auront pas fini de subir des insultes :

 

Insultes et injures, outrage à leur honneur

A leur dignité, à leur droit au bonheur ;

 

Surtout que le hasard et la nécessité

Entraînent, à eux deux, bien des calamités :

 

Calamités du sort que parfois des facteurs

Infectieux ou toxiques renforcent avec vigueur.

 

Atteintes organiques ou alors accidents,

Traumatismes divers sont souvent évidents

 

De par leurs conséquences nettement pathogènes

Qui troublent leur pensée et aggravent leur peine,

 

Et cela sans parler de cette hérédité

Sur laquelle a pesé quelque fatalité

 

Que la science aujourd’hui essaye de réduire

En perçant son mystère pour mieux la prévenir.